mercredi, septembre 01, 2004

Le retour de Platon dans la philosophie politique américaine

Platon est de retour aux Etats-Unis. Le Platon que connaissent bien tous les étudiants en philosophie, celui qui critiquait la démocratie qui donne le pouvoir au peuple qui ne peut être philosophe.
Il revient à l'occasion d'un débat sur la démocratie délibérative (Deliberative democracy), un mouvement qui reprend les thèses d'Habermas et milite pour un contrôle renforcé des citoyens sur le gouvernement. Les citoyens, disent en substance ses auteurs, doivent participer plus activement aux choix politiques et, pour cela, il faut que les gouvernants leur donnent la possibilité de débattre des décisions, ce qui suppose qu'ils aient accès aux éléments nécessaires pour arbitrer entre plusieurs politiques. Je citais à l'instant Habermas, ces auteurs pensent, comme le philosophe allemand que le but de la politique est d'obtenir, par la raison, par le dialogue et l'échange d'arguments, l'agrément de tous.
Or, la démocratie délibérative s'est trouvée des adversaires en la personne d'Ilya Somin et, surtout, Richard Posner, le théoricien de l'application du raisonnement économique au droit qui inspire la droite américaine. Dans des textes récents, ces deux auteurs s'en prennent à la démocratie délibérative : elle est, disent-ils, impossible parce que les citoyens sont ignorants.
Il leur est, on le devine, assez facile de multiplier les "preuves" de cette ignorance : il suffit de mettre bout à bout tous ces sondages qui nous montrent que x% des Américains ne connaissent pas le nom de leur Président, ne savent où se situent la France, croient que la terre est plate ou que les bébés naissent dans les choux…
Leur thèse tient en trois points qui reprennent (sans qu'ils les citent) celles de Platon et de Tocqueville, autre critique des régimes démocratiques :
- il est impossible, dans des socités modernes extrêmement complexes, d'organiser un contrôle du gouvernement par les citoyens : ceux-ci sont trop ignorants (ces auteurs parlent plutôt de capacités cognitives limitées, mais c'est bien le même sens);
- organiser des débats approfondis ne peut que mettre en évidence les différences morales profondes entre citoyens, cela ne peut que rompre le consensus sur lequel vit la société;
- enfin, dans une société commerciale, marchande, les citoyens sont pragmatiques, plus intéressés par leur intérêt privé, par les questions concrètes que par les questions d'ordre général. La politique ne les intéresse pas.
Ces positions conduisent Posner à développer une vision aristocratique de la politique comme dans ce texte :"Modern democracy, for reasons of efficiency and feasibility, is representative democracy, which involves a division between rulers and ruled. The rulers are officials who are drawn from—to be realistic—a governing class consisting of ambitious, determined, and charismatic seekers of power, and the role of the citizenry is to vote candidates for officialdom in and out of office on the basis of their perceived leadership qualities and policy preferences. The system exploits the division of labor and resembles the economic market, in which sellers and consumers constitute distinct classes. In the marketplace, the slogan “consumer sovereignty” signifies that the essentially negative power of the consumer—the power not to buy a particular product, a power to choose though not to create—constrains the behavior of sellers despite the vast gulf of knowledge and incentives that separates sellers and consumers. The same relationship exists between politicians and voters." (on peut consulter le texte intégral de cette intervention à l'adresse suivante : http://www.legalaffairs.org/issues/January-February-2004/feature_posner_janfeb04.html
Il ne s'agit bien sûr que de débats entre intellectuels, mais on aurait tort de croire qu'ils jouent un rôle négligeable aux Etats-Unis. Leur influence sur la classe dirigeante y est au moins aussi importante que chez nous.

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