vendredi, septembre 03, 2004

Non, l'anglais n'est pas la langue naturelle du business

Cette formule, l'anglais, langue naturelle du business, a été prononcée il y a deux ou trois ans par le directeur d'une école qui fait profession d'enseigner l'anglais aux hommes d'affaires (le Wall street institute) à l'occasion d'un colloque professionnel. Ce qui surprend, ce n'est pas qu'elle ait été prononcée par un professionnel de l'enseignement de l'anglais (après tout ce slogan n'est pas plus stupide que beaucoup d'autres slogans publicitaires), mais qu'elle n'ait suscité aucune réaction. Tous les participants ont trouvé cela normal, comme si l'anglais était effectivement devenu la langue des affaires, comme si l'on ne pouvait pas faire d'affaires en une autre langue que l'anglais.
On pourrait naturellement comprendre cela en disant que l'anglais a développé un vocabulaire, des concepts qui se prêtent mieux à la négociation commerciale que d'autres langues, un peu comme les informaticiens parlent anglais parce que c'est dans cette langue qu'on été développés les principaux langages informatiques. Mais il ne s'agit pas de cela. Le directeur de cet institut voulait tout simplement dire que l'anglais était devenu la langue des affaires, que l'on ne pouvait pas en faire si on ne le parlait pas. Ce qui est faux et… dangereux.
Dangereux, ce l'est pour au moins quatre motifs :
- l'utilisation de l'anglais (ou de tout autre langue unique) dans les relations de travail donne un avantage déterminant à ceux dont c'est la langue maternelle. A compétences égales, on sera naturellement porté à préférer un anglais, un américain ou un australien à un français, un allemand ou un italien;
- l'utilisation de l'anglais dans les négociations donne un avantage à ceux qui le parlent le mieux, c'est-à-dire à ceux qui le pratiquent depuis l'enfance;
- l'utilisation de l'anglais comme langue de travail favorise l'importation de concepts venus du monde anglo-saxon. C'est vrai dans le monde de la comptabilité (la COB a du intervenir pour rappeler aux entreprises frnaçaises que certains des concepts qu'elles utilisaient n'avaient tout simplement aucun sens dans notre environnement institutionnel). Autre exemple : sous l'influence de la commission européenne, on utilise de plus en plus souvent le mot "client" dans l'administration en lieu et place du mot usager. Il a en français une connotation "commerciale" qu'il n'a pas en anglais où il est utilisé pour décrire les relations entre une profession libérale et son "client" (ce qui suppose un certain degré de confiance que l'on ne trouve pas dans les relations commerciales traditionnelles) ou encore pour décrire une relation dans un système informatique entre un serveur (qui conserve les données et les programmes) et des postes envoient les consignes (les clients. D'où des résistances des salariés qui seraient moins vives si le mot était pris dans son sens originel ;
- enfin, et peut-être même surtout, l'utilisation de l'anglais donne un avantage déterminant aux entreprises culturelles anglo-saxonnes. C'est vrai dans le monde de la chanson, du cinéma mais aussi, et c'est le plus grave, dans celui de l'éducation. Pourquoi aller dans une université allemande ou italienne quand on vous demande de travailler en anglais? Pourquoi se donner la peine de lire Racine ou Goethe quand Shakespeare sera la principale référence culturelle.
La logique qui consiste à privilégier une langue (l'anglais ou toute autre) est dangereuse. Nous gagnerons tous à développer le multilinguisme et à insister pour que se développent des outils de traduction et d'aide au dialogue entre locuteurs d'origine différente.

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