mercredi, juin 08, 2005

Libertariens : après la torture, le travail forcé

La défense à tous crins de la liberté dans la tradition lockéenne est souvent très proche de formes extrêmes de coercition. Dans un article publié dans la dernière livraison des Temps Modernes (Tortures en Irak, L’inquiétante candeur américaine, Les Temps Modernes, mars-juin 2005), je montre, textes à l’appui comment les dérives de l’armée américaine en Irak et à Gantanamo trouvent l’une de leurs sources (et de leur justification théorique) dans les théories libertariennes, notamment dans les travaux de Robert Nozick qui, dès le début des années 80, développait dans des textes de philosophie morale, la thèse de la ticking bomb (vous venez d’arrêter un terroriste, vous savez qu’il a posé une bombe qui va exploser dans quelques heures, il se tait, vous avez, dit Nozick et après lui quelques autres, le droit de le torturer).
Je tombe sur la revue d’un livre récent d’un libertarien de gauche, M.Otsuka (Libertarianism Without Inequality, Oxford, 2003) qui tente de réconcilier les droits de chacun de profiter pleinement du fruit de son travail et la solidarité à l’égard de ceux qui manquent et souffrent. On sait, en effet, que dans les thèses libertariennes classiques, chacun a le droit de profiter complètement de son travail, complètement voulant dire sans contribuer par l’impôt, le versement de cotisations sociales… à la satisfaction des besoins de ceux qui ont moins de talents, qui sont handicapés, qui ne travaillent plus…(Alain Laurent, l’un des rares auteurs libertariens revendiqués en France titrait en 1991 un de ses livres : Solidaire, si je le veux).
Sa solution : le travail forcé ou quelque chose qui y ressemble beaucoup. En violant les droits des autres, en les volant, par exemple, les criminels ont renoncé à leurs droits : il est donc légitime qu’une partie des richesses qu’ils produisent au delà de ce qui est remis en compensation aux victimes soit confisquée et reversée à ceux qui manquent et sont dans le besoin. Dans le monde des idées qu’Otsuka analyse, il n’y a pas de travail forcé, puisque la ponction sur les revenus se fait en fonction de ce que les criminels décident librement de produire, mais ramené sur terre ce type de raisonnement conduit à justifier l’obligation faite aux prisonniers de travailler pour des salaires insignifiants, comme c’est le cas en Chine, mais aussi aux Etats-Unis.
Dans le même livre, Otsuka envisage la possibilité de créer des sociétés d’esclave : dès lors, dit-il, que je dispose du droit sur ma propre personne, rien ne s’oppose à ce que je me vende et donc à ce qu’émergent des sociétés dans lesquelles il y ait des esclaves. Etrange conclusion pour qui, parti d’une position lockéenne, se veut un impitoyable défenseur des libertés de chacun…

1 commentaire:

all a dit…

Puisque les libertariens placent au dessus de tous les droits le droit de propriété, et que ce droit s'applique en premier à mon propre corps, il est légitime que je vende mes organes à qui pourra les payer.
Après l'esclavage le cannibalisme.