mercredi, janvier 25, 2006

Big Brother : on en plein dedans

Le hasard fait parfois bien les choses. Dans quelques jours, Privacy International, une ONG encore peu connue doit décerner ses prix qui dénoncent les organismes qui contrôlent de trop près nos vies privées. On peut imaginer que le gouvernement américain et son Président seront choisis et qu'on en parlera abondamment dans la presse (et dans la blogosphère!). A moins que les membres du jury ne choisissent de s'en prendre à MSN ou à Yahoo! On vient, en effet, d'apprendre que ces deux entreprises ont accepté de donner des informations au gouvernementée américain, informations que refuse de livrer Google.
Le débat sur la protection de la vie privée (la privacy) qui traînait depuis quelques années est donc engagé, avec d'un coté, le gouvernement américain qui ne recule devant rien au nom de la lutte contre le terrorisme et, de l'autre, un camp informel où l'on retrouve pêle-mêle organisations de défense de la protection de la vie privée, industriels (Google), internautes et, peut-être demain (du moins peut-on l'espérer) gouvernements inquiets de la tendance des autorités américaines à faire fi des droits d'autrui.
Cette nouvelle escarmouche a éclaté lorsque Google a annoncé, il y a deux jours, avoir refusé de livrer aux autorités américaines des données sur ses utilisateurs, données que le gouvernement américain souhaite obtenir pour lutter contre la pornographie. Il ne s'agissait pas (au moins officiellement) de données personnelles, juste de données statistiques, mais ceux qui l'ignoraient ont découvert à l'occasion que les moteurs de recherche (Google, mais aussi Yahoo!, MSN et bien d'autres) conservent des informations sur les utilisateurs.
Conserver ces données est doublement utile pour ces moteurs de recherche :
- cela leur permet d'améliorer la qualité de leurs réponses. Si la machine possède trace de mes précédents interrogations, elle saura que faire lorsque je tape sur mon écran "Hayek", elle saura s''il faut mettre en tête l'économiste (mes précédentes recherches montrent que je m'intéresse à l'économie) ou l'industriel (mes précédentes recherches montre que je m'intéresse plutôt aux voitires ;
- cela leur permet également d'analyser les comportements des utilisateurs, de mener des enquêtes marketing en ligne et d'affiner les outils publlicitaires avec lesquels elles gagnent de l'argent.
Refuser de donner ces informations n'est donc pas, de la part de Google, seulement un acte citoyen. C'est aussi une manière de protéger ses activité et, ce qui n'est pas moins important, sa réputation et la confiance que nous lui faisons. Sans confiance, il est probable que nous l'utiliserions de manière plus timide.
Les moteurs de recherche ne sont évidemment pas les seuls à posséder des informations sur nos activités. Les gestionnaires des systèmes de cartes de crédit conservent également des informations sur nos achats, tout comme les sociétés de téléphone (qui savent quand et à qui nous avons téléphoné, combien de temps…), les commerçants et, plus simplement, les différents organismes qui s'occupent de notre santé, de nos impôts… Il y a cependant plusieurs différences qui méritent qu'on s'attarde tout particulièrement sur cette affaire :
- à la différence des commerçants, des banquiers et de la sécurité sociale, les moteurs de recherche possèdent des informations sur à peu près toutes nos activités : les films que nous allons voir, les sujets qui nous intéressent, les achats que nous faisons (sur le net), les articles que nous lisons dans la presse (ils savent combien de temps nous sommes restés sur tel ou tel article…)… il leur est assez facile (ou il serait assez facile à quelqu'un possédant leurs informations de se faire une idée assez précise de nos opinions),
- à la différence de la plupart des autres organismes, ils ont une implantation mondiale : les données d'un utilisateur français, allemand ou belge peuvent être confiées au gouvernement américain au même titre que les données de citoyens américains. Ce qui en pratique veut dire qu'un Etat étranger peut venir fouiller dans nos vies, ce qui est évidemment une première,
- cela se passe dans un contexte très particulier, avec une administration américaine dont on sait qu'elle n'a de respect pour la vie privée ni pour les règles morales en vigueur ailleurs dans le monde. Le 23 janvier dans le plus des discours qu'il ait jamais prononcé, le Président Bush justifiait les écoutes téléphoniques au nom de la lutte contre le terrorism : la Cour Suprême m'a donné, a-t-il expliqué, autorité pour lutter comme il me semble bon contre le terrorisme,
- cela arrive alors que les meilleurs experts nous disent que technologie et protection de la vie privée sont appelés à entrer en collision (extrait d'un dialogue entre deux des fondateurs de Sun : "Scott is right that technology and privacy are on collision courses. . . Technology makes (surveillance and tracking) cheap (…)The tip toward the public space being made less private . . . is one that's hard to fight. It kind of has Moore's Law on its side. We have to hold onto what we want with the law, but technology doesn't make that easy.")
- alors même que l'on apprend par ailleurs qu'est en train de se développer aux Etats-Unis tout un marché de l'information confidentielle sur lequel on peut, pour 100$, acheter les informations que détiennent les compagnies de téléphone.
Le débat ne fait que commencer, mais les enjeux sont considérables et il serait bon que les pouvoirs publics ailleurs dans le monde, les organismes de régulation spécialisés, comme en France la CNIL, montent vivement au créneau. Ne serait-ce que pour évaluer ce que nous risquons et ce que l'on peut faire ou demander à la tehnologie (qui a probablement des réponses : on pourrait, par exemple, imaginer que l'on demande aux moteurs de recherche de stocker les données qu'ils collectent sur les internautes français en France, là où un environnement réglementaire peut éviter les dérives).

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