mercredi, novembre 29, 2006

Injustices sociales vs pathologies sociales

La Découverte vient de publier un recueil d'articles d'Axel Honneth, sociologue allemand de l'école de Francfort que l'on connaît pour ses travaux sur la reconnaissance : La société du mépris. Ce recueil est passionnant et, malheureusement, comme c'est de plus en plus souvent le cas, abominablement édité (un exemple entre dix : un des papiers d'Honneth est une réponse aux critiques faites à la Dialectique de la raison d'Horkheimer et Adorno ; à aucun moment, l'éditeur ne prend la peine de donner le nom des deux auteurs de ce livre, c'est au lecteur de chercher ou de retrouver, s'il a un peu de culture philosophique, dans sa mémoire).

Mais revenons à l'essentiel : au contenu de ce recueil. On y trouve beaucoup de choses intéressantes et notamment une opposition, utile dans les débats sur l'équité et la société juste, entre injustices sociales et pathologies sociales : des situations justes peuvent être insupportables.

C'est lorsque l'on regarde le monde social avec d'autres lunettes, que l'on peut voir, au delà des injustices que le réformiste corrige avec plus ou moins de bonheur, de véritables pathologies sociales.

C'est une manière de réintroduire dans le jeu politique l'opposition entre réformisme et révolution (ou, si l'on préfère, critique radicale de la société) qui s'était effacée ces dernières années, le mot révolution s'étant vidé de son sens. Mais c'est aussi une façon de légitimer dans le débat public d'autres manières de s'exprimer en politique. Aux experts qui argumentent de manière rationnelle et s'attachent à corriger les injustices que l'on sait mesurer, Honneth oppose ceux qui utilisent la parabole, la métaphore, la rhétorique pour rendre visible l'inacceptable que les acteurs ne voient pas toujours (d'où la figure de l'esclave heureux que l'on rencontre dans ce livre). C'est de cette manière, en effet, que l'on peut espérer modifier les normes dans une société.

Au coeur de cette distinction, il y a, explique Honneth un glissement dans les préoccupations de la philosophie politique : "il ne s'agit plus, écrit-il à propos de Hobbes qui aurait été l'un des premiers à initier ce glissement, de savoir comment une communauté peut garantir à ses membres une vie qui soit à la fois bonne et juste, tout ce qui le préoccupe c'est de savoir comment elle peut être en mesure de construire un ordre qui recoive un assentiment général. (…) La philosophie n'est censée apporter de réponse qu'aux problèmes relatifs à l'institution de rapports sociaux justes ; quant aux conditions qui garantissent une vie bonne, elles sont si peu accessibles à une définition générale qu'elles doivent rester en dehors du cadre de la philosophie."

Cette opposition entre injustices et pathologies sociales parait utile et pourrait bien demain nourrir les débats au sein de la gauche entre réformistes et radicaux.

Aucun commentaire: