vendredi, mai 04, 2007

Premier bilan de la campagne

Tous les sondages (ou presque puisqu'il y a une exception mais il s'agit d'un institut peu connu) donnent Nicolas Sarkozy gagnant avec une large majorité. On verra bien.

En attendant dimanche soir, on peut faire un premier bilan de cette campagne qui aura opposé, sur fond de glissement à droite de l'opinion :
- une formidable machine électorale au service d'un programme ouvertement conservateur,
- à une équipe brouillonne au service d'une réécriture du "logiciel" de la gauche de gouvernement.

A l'inverse de Jacques Chirac, et malgré quelques détours du coté de Jaurés, Nicolas Sarkozy a mené une campagne très à droite. Il a emprunté plusieurs de ses thèmes à Jean-Marie Le Pen (sur l'immigration, notamment), proposé une politique économique de droite classique agrémentée de mesures très favorables aux possédants (droits de succession, baisse des impôts, renforcement du bouclier fiscal mais aussi protectionnisme), multiplié les rapprochements avec les néoconservateurs (ralliement de Glucksman et de quelques autres) et développé des thèmes typiques de la pensée réactionnaire (l'origine génétique de la pédophilie…). Cette campagne qui lui a permis de faire le plein des voix de droite au premier tour aurait pu le gêner au second tour. Ce n'est, semble-t-il, pas le cas, grâce à la formidable machine électorale qu'il a mise en place, grâce à ses relais dans tout ce qui a de pouvoir, mais aussi, il ne faut pas se leurrer, grâce aux Français qui semblent avoir envie d'essayer, après le socialisme et le radicalisme à la Chirac, une expérience brutale et autoritaire, à la Thatcher.

On a beaucoup dit de Ségolène Royal qu'elle avait été choisie par le Parti Socialiste sous la pression de l'opinion. Il serait plus juste de dire qu'elle a été choisie par les militants du PS parce qu'elle promettait une révision de la politique de la gauche. Si sa campagne a été brouillonne et a manqué, sur de nombreux dossiers, de précision, elle a amorcé une véritable mue du "logiciel" de la gauche sur quatre points majeurs :
- les institutions avec le rôle des régions (la gauche jacobine est devenue girondine) et l'invention de mécanismes de contrôle de l'action politique par les citoyens (les jurys citoyens tant moqués représentent sans doute une des voies de rénovation de la politique dans les régimes démocratiques à suivre de très près) ;
- l'économie avec la fin de la diabolisation du marché, la mise en avant des entrepreneurs et du dialogue social qui signe l'abandon de la lutte des classe au profit d'une recherche de compromis par la négociation ;
- l'Etat providence : en mettant systématiquement en avant la règle du donnant-donnant, la candidate socialiste a introduit une inflexion majeure dans le discours classique de gauche ;
- la "cible" électorale : Ségolène Royal s'est adressée à une société française diverse. Sa gauche est moins associée à la cIasse ouvrière, façon PC, aux fonctionnaires façon PS, qu'à la France colorée des banlieues.

Son échec (si échec il y a) pourrait pour partie venir de que ce que changement de logiciel lancé sans préparation, jamais vraiment théorisé, a désorienté beaucoup des électeurs traditionnels de la gauche qui ont voté pour elle sans enthousiasme, sont allés chez Bayrou et ont laissé développer, sans réagir, des attaques sur ses compétences.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bernard

Je suis totalement d'accord avec toi et ton texte est remarquable, clair, limpide, un regard très juste !

Si je peux me permettre, à moins que tu ne le connaisses déjà, je te livre celui de Bricmont que j'ai mis sur mon blog le 29 avril...
Bien à toi et à bientôt

AL 1

Les néo-conservateurs et leurs alliés ont perdu le soutien de l’électorat aux États-Unis, en Italie, en Espagne et en Angleterre- il ne leur reste qu’un seul espoir important : la France, avec l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.
Il suffit de lire la presse étrangère pour voir qu’il est de loin le candidat préféré des néo-libéraux (leur porte-parole, The Economist, montre sur sa couverture ce nouveau Louis XVIII en Napoléon) et des néo-conservateurs. Ils ne le soutiennent pas simplement comme ils soutiendraient n’importe quel candidat de droite, mais parce qu’il est le seul homme politique français important qui incarne leurs idées.
Pour eux, c’est l’espoir d’en finir une fois pour toutes avec l’hydre à deux têtes constituée par ce qui reste de modèle social français et de la politique indépendante de la France.
Aucun homme politique français, et certainement aucun candidat à la présidence de la République, n’a été aux États-Unis dire qu’il se sentait étranger dans son propre pays, dire qu’il est fier qu’on l’appelle Sarkozy l’américain et considère comme arrogant le discours d’un premier ministre français (de Villepin à l’ONU en 2003) qui a fait l’admiration du monde entier.
Sa victoire représenterait une inféodation de la France à l’étranger comme il n’y en a jamais eu dans le passé, sauf suite à des défaites militaires.
La question n’est pas de savoir si on aime ou non Ségolène Royal ou si on fait ou non confiance à elle et à son parti. Bien sûr que les socialistes au pouvoir ne tiendront pas leurs promesses. Mais il vaut mille fois mieux, pour le mouvement social, qu’il ait en face de lui des socialistes qui ne tiennent pas leurs promesses qu’un Nicolas Sarkozy qui les tient.
Il vaut mille fois mieux avoir une présidente mal élue, élue par des gens qui votent contre son adversaire et non pour elle, que quelqu’un que toute la presse française et internationale présentera comme ayant un mandat pour mettre en ouvre un programme plus radical encore que celui qu’il promet.
Vaincre Sarkozy, c’est aussi montrer, comme cela a été fait le 29 mai, que la presse n’est pas toute puissante.
Il faut, entre les deux tours, réanimer les collectifs qui ont fait échouer le Traité Constitutionnel, refaire vivre la campagne anti-Le Pen de 2002, faire connaître les écrits et les paroles de Sarkzy. Que la « gauche de la gauche », qui a su si bien se diviser au premier tour, s’unisse au deuxième dans un combat explicitement anti-Sarkozy.
Les Français qui, par indifférence ou par fausse pureté morale laisseraient gagner Nicolas Sarkozy, en s’abstenant, doivent penser au message que son élection enverra dans le reste du monde, et surtout dans le tiers-monde : si même la France ne peut pas résister à l’hégémonie américaine, alors qui pourra le faire ?
C’est une dangereuse illusion de croire que « tout va sauter » si Nicolas Sarkozy est élu. Il y aura sans doute des émeutes, mais elles seront réprimées. La France n’est pas dans une situation pré-révolutionnaire. Le mouvement social devra travailler de nombreuses années avant d’arriver à une alternative crédible et réalisable.
Il est vrai que le projet néo-conservateur finira par échouer - mais grâce à la lutte des peuples du Moyen-Orient. Le peuple français peut néanmoins leur infliger une défaite très simplement et sans tirer un seul coup de feu : en disant non à Nicolas Sarkozy le 6 mai.
Jean Bricmont