mardi, avril 05, 2011

Réactionnaires, oui? En passe de construire une hégémonie culturelle? Pas sûr!

Le Monde consacre donc une page à ces chroniqueurs qui se sont faits les fouriers des idées du Front National à la télévision et à la radio, Elizabeth Levy, Eric Zemmour, Yvan Rioufol, dont j’ai moi-même parlé ici à plusieurs reprises (Profession : réactionnaire).

Cet article commence par une remarque d’Eric Zemour qui cite Gramsci et ses analyses sur l’hégémonie culturelle qui aurait autorisé la bourgeoisie à imposer ses idées à la classe ouvrière et à asseoir son autorité et son contrôle sur la société au début du vingtième siècle. Cette remarque astucieuse s’applique très bien à ce qui s’est passé aux Etats-Unis où l’on a vu dans les années 70 les néo-conservateurs investir les lieux où se construit et se diffuse la pensée : universités, think tanks, jusqu’aux programmes de radio et de télévision. S’applique-t-elle au cas français? J’en suis moins sûr.

Qu’avons-nous? Un quarteron de provocateurs qui ont choisi de se faire une place au soleil en recyclant les thèmes et les idées du Front National dans différents médias écrits, le Figaro, Valeurs Actuelles, parlés, RMC (pas cité dans l’article du Monde), RTL, et audiovisuels. Ils le font au moment même où le pouvoir en place, déconsidéré dans l’opinion, tente, par une manoeuvre aussi habile que dangereuse, de faire monter l’extrême-droite pour détourner l’attention de son bilan médiocre sur le front économique et social. On est bien loin de ce que Gramsci appelait hégémonie culturelle. On est aussi très loin de l’offensive, dûment réfléchie et d’envergure, des néo-conservateurs américains : où sont les universitaires qui soutiennent les mêmes idées? où sont les intellectuels qui nourrissent cette extrême-droite de concepts et d'analyses? où sont les laboratoires qui accueillent, nourrissent et publient les chercheurs affiliés à cette tendance? Le GRECE a pu jouer autrefois ce rôle, il s’est évanoui. La Fondation Saint-Simon a aidé les libéraux à se reconstruire, mais elle s’est dissoute en 1999. Nous n’avons rien qui ressemble, même de loin à l’American Heritage Foundation, au Cato Institute ou à l’une ou l’autre de ces institutions privées qui entretiennent la flamme conservatrice aux USA même si certaines émissions de RMC (ou, semble-t-il de RTL) semblent prendre modèle sur ce que l’on peut entendre sur Fox News.

Hors le recyclage de propos de bar sur l’Islam et la criminalité, nos provocateurs n’ont pas grand chose à proposer. Il y a, nous disent-ils, trop de musulmans en France? trop de délinquants sont arabes ou noirs? Mais alors, que faire? Les mettre à la porte? Les convertir de force? Développer sous une forme ou l’autre l’apartheid? Stériliser les mères? Envisager une partition de la France, avec un 93 musulman et le reste du pays fidèle aux tradition chrétiennes? Le décalage entre leurs propos venimeux et leurs propositions est sidérant. La réponse, hier matin sur France Inter, de Nathalie Kociusko-Morizet à une question sur le débat organisé par l’UMP sur l'Islam (pardon, la laïcité) a témoigné mieux que tout autre de ce décalage : “je trouve ce débat intéressant. Je ne suis pas inscrite mais j’y participerai certainement parce que je suis maire et que que je sais qu’il y a de vrais problèmes : que faire quand un enfant de six ans refuse de manger du hachis parmentier sous prétexte que la viande n’a pas été abattue de manière rituelle?”. Mais, Madame le Maire, peut-être tout simplement demander au cuisinier de mettre la purée à part…

Cela ne veut certainement pas dire que ces chroniqueurs sont inoffensifs et que leurs propos sont anodins. Bien au contraire. Ils banalisent des discours qui hier encore étaient inadmissibles. Mais leurs succès doivent, me semble-t-il, plutôt être rangés du coté des modes qui saisissent régulièrement les médias que d’une véritable conquête de l’hégémonie culturelle sur la société.

Quelle importance, me dira-t-on? Leurs provocations n’en sont pas moins dangereuses. Sans doute, mais les modes médiatiques s’épuisent rapidement, d’autant plus rapidement que les auditeurs et spectateurs se fatiguent vite. L’hégémonie culturelle met plus longtemps à se construire, mais elle est beaucoup plus résistante. On n'en est pas encore là. Du moins l'espéré-je…

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